Conférence du 12 mai 2003 de Monsieur Patrick TRAUBE, psychologue

La violence fait, de nos jours, les gros titres de l’actualité. Elle est omniprésente dans le monde, elle fait peur.
Nous allons tenter d’en comprendre le processus, les racines et les causes profondes.
Comment la sanctionner et la régir au mieux.

  1. Comment canaliser la violence ?

La violence colle à la vie comme l’ombre à l’objet.

Nous devons poser différemment la question de la violence.

Généralement, dans les conversations, les lieux publics,… nous entendons souvent que la violence doit être supprimée. Mais comment ?
En tuant tout le monde ?
Dans ce cas, il est vrai, il n’y aurait plus de vie et donc plus de violence. Mais cela n’est pas du tout souhaitable. Nous sommes dans une
impasse si nous posons
la question sous cette forme.

En effet, la pertinence d’une réponse dépend de la formulation de la question. Poser la question d’une manière plus modeste mais plus
pragmatique.

A partir du moment où l’on accepte que la violence colle à la vie, nous devons nous poser la question suivante :  » Sur le terrain que j’occupe,
comment vais-je m’y prendre
pour canaliser la violence dans les voies les moins destructrices possibles ? « 

  1. D’abord comprendre

    Si nous sommes confrontés à un conflit, si nous n’en comprenons pas les enjeux, nous risquons d’agir à côté.

    Nous ne pouvons pas faire l’économie de cette démarche de compréhension en tant qu’opération intellectuelle.

Si on veut agir efficacement sur un processus, nous devons comprendre comment cela fonctionne (les causes, les racines, comment elle se
propage, les moyens
d’y remédier, de la prévenir,…).
Cela va à l’encontre de notre culture qui nous pousse à agir avant de comprendre.

  1. Point de convergence de causes multiples

Imaginez-vous un après-midi, sur la place de Ath. Un tireur fou mitraille la foule au hasard.
Que se passe-t-il, après, dans la conversation des gens ?

 » S’il y a tant de violence, c’est à cause du chômage  » dira l’un.
 » Mais, non  » dira l’autre.  » C’est la faute des parents qui laissent tout faire et qui démissionnent « .  » Mais, non  » dira un troisième. Et ainsi de suite.

Qu’il y ait un rapport entre la violence et le chômage, personne ne le niera mais là où le bât blesse, c’est quand nous disons OU et non pas ET.

Lorsqu’il y a une violence qui survient à un endroit quelconque, ce n’est pas à un endroit unique, c’est un phénomène multi-causal, un phénomène pluri-factoriel.
La violence vient toujours se placer au point de conjonction de facteurs multiples.

Les facteurs de violence peuvent se regrouper en 3 familles :

Imaginez qu’avant d’entrer dans l’auditoire, les organisateurs aient mis de la poudre explosive en dessous des fauteuils. Si personne n’allume de cigarette, il ne se passera rien. Mais imaginons que quelqu’un craque une allumette…Imaginons que juste derrière la paroi de droite se trouve un atelier de menuiserie et que, derrière la paroi de gauche, se trouve un entrepôt de pneus…

Il y a donc des facteurs favorisants (la poudre explosive), des facteurs déclenchants (allumette) et des facteurs renforçants (les matériaux explosifs).

Si la violence est présente, les facteurs renforçants vont la conforter. Dans la stratégie de la prévention, on va travailler sur les facteurs favorisants.

  1. Attribut des systèmes humains. Modalités de communication.

L’énoncé :  » cet enfant est violent  » n’a aucun sens.

Si nous disons :  » cet enfant est colérique  » (plus facilement que la majorité des gens), c’est psychologiquement correct.
Si nous disons :  » cet enfant est agressif  » (propension plus grande que la moyenne à passer à l’acte agressif), c’est également correct.

Dire qu’un enfant est violent, ce serait considérer la violence comme un attribut de la personne, un caractère ou un trait de personnalité. Ce serait considérer qu’il y aurait, d’une part, des hommes violents et, d’autre part, des hommes non violents.

Il y a en chacun de nous une pulsion agressive. Pulsion vitale sans laquelle les chances de survie sont minimes.

La violence peut surgir ENTRE nous. Contrairement à la pulsion agressive (phénomène intra-psychique), la violence est inter-relationnelle. C’est une production des systèmes relationnels humains. Elle surgit entre les personnes contrairement à la pulsion agressive qui est en nous.

Dire de quelqu’un qu’il est violent n’a pas de sens. Dire qu’une famille est violente a un sens car la violence est le seul moyen de communication connu et utilisé.

La violence est une manière de communiquer lorsqu’on n’en a jamais appris d’autres. C’est un mode de communication mais aussi un rempart contre la folie : mieux vaut communiquer par la violence que de ne pas communiquer du tout même si ce n’est pas socialement acceptable.

Prévention

A la question :  » que faudrait-il faire pour qu’il y ait moins de violence à l’école ? « , la réponse est souvent :  » apprendre à mieux communiquer « .

C’est vrai mais c’est à la fois extrêmement partiel :

C’est vrai car plus on communique adéquatement, moins on aura recours à un comportement violent.

Cela ne l’est pas dans le sens où, si on en reste là, on peut avoir l’impression que la communication élimine tous les problèmes. Or, selon notre expérience, tout prouve le contraire. Nous devons donc faire attention aux facteurs situationnels :

Il y a, comme pour un orgue, deux claviers : le clavier du communicationnel (attitudinal) et le clavier situationnel (qui relève du contexte du milieu).
Imaginons qu’un groupe d’adultes ayant suivi des cours de communication et qui, de ce fait, communiquent bien entre eux se retrouvent réunis dans un local minuscule durant une journée entière. Il risque de se passer des choses graves même si on a appris à communiquer.

Facteurs situationnels : (que l’on retrouve sur le terrain scolaire)

Espace vital : exiguïté, empiètement

Caractéristiques de l’environnement physique : exposition à la lumière naturelle, nature des matériaux, couleurs,…

Accès insuffisant aux sources de gratification : quand les besoins fondamentaux de l’individu ne sont pas suffisamment rencontrés, à savoir :
– la stimulation : l’ennui est surgénérateur de violence
– la reconnaissance : on a besoin de se sentir reconnu comme existant et important pour l’autre. La violence est un moyen de se faire reconnaître quand même car mieux vaut être reconnu négativement que de ne pas être reconnu du tout.
– la structure : vivre dans un milieu suffisamment cohérent que pour pouvoir affirmer sa personnalité.

Incapacité à modifier la situation frustrante : pour prévenir la violence, on doit pouvoir modifier la frustration. Nous devons donc montrer aux enfants comment diminuer leur source de frustration.

Modèles de violence ambiants (dans la vie réelle ou dans la fiction)

Présence visible d’armes

Carence de règles (règles absentes, ambiguës, injustes, arbitraires, non sanctionnées)

Carence de stimulation (ennui)

Déresponsabilisation (quant aux conséquences de ses actes)

Les médias
Les médias ont une influence considérable sur le comportement des gens. Si nous voyons des scènes de violence, nous sommes sujets à un effet mimétique (reproduire).
Nous sommes confrontés à une banalisation du geste qui consiste à tuer l’autre (jeux vidéo : tuer = effacer= delete). Ce que l’on peut craindre, c’est de ne plus percevoir la frontière entre le réel et le virtuel.

Répression
Un enfant qui grandit sans règles est un enfant voué à la folie ou à la psychopathie. La règle est, à la fois, aliénante et structurante (pièce de monnaie : pile ET face).

Nous devons faire en sorte que les règles soient les moins aliénantes possibles tout en étant les plus structurantes possibles.

Pour qu’il y ait règle, il faut sanction en cas de transgression.

Auparavant, nos grands-parents nous disaient de  » marcher droit  » : thèse.
Après, il y a eu, dans les années 60, l’idéologie de l’enfant roi : anti-thèse
Maintenant vient le temps de la synthèse avec une prise de conscience : il y a le devoir ET le droit, les règles ET l’amour. On doit retrouver un certain sens du devoir : l’enfant n’est pas l’égal de l’adulte.

Si l’enfance est l’âge de la docilité, l’adolescence est celui de la transgression mais comment enfreindre les règles s’il n’y en n’a pas ?

 » J’ai été agressé « 

Deux logiques : rendre les coups ou laisser faire ?

Il faut voir si cela est occasionnel ou si cela est systématique : bouc-émissaire. Si cela devient systématique, il faut avoir recours à l’école car c’est un problème de groupe.

Il faut analyser si le terrain est favorable au développement de la violence ou non : les mauvaises herbes poussent là où on les laisse pousser. Ce genre de phénomène disparaît à partir du moment où on réinstaure une autorité légitime et visible.

L’élève peut participer à l’élaboration de la règle : à partir du moment où l’on est partie prenante à l’édiction de la règle, c’est quelque chose dont on est soi-même garant. Le rapport à la loi est vécu différemment (assemblée d’école).

Mais il faut distinguer ce qui est négociable (accès au distributeur de boissons, …) et ce qui ne l’est pas (charte de l’école).

L’école n’est pas une démocratie mais un outil d’apprentissage des valeurs démocratiques mais comment faire si on ne les applique pas au quotidien. Il faut analyser la manière dont nous allons gérer les conflits entre nous.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *